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Une tâche inachevée

Allocution prononcée par l’honorable David Kilgour, secrétaire d’État (Amérique latine et Afrique) du Canada
à l’Assemblée mondiale des personnes handicapées
CANACO Centre des congrès de la Chambre de commerce nationale, Mexico, le 5 décembre 1998


Monsieur le président, chers délégués et amis du mouvement des personnes handicapées.

C’est un honneur pour moi de me joindre à vous en cette merveilleuse occasion, dans l’une des plus grandes villes des Amériques. Que nous soyons tous réunis dans cette ville historique témoigne de votre capacité de travailler ensemble pour défendre les intérêts des personnes handicapées du monde entier.

Je vous félicite pour les succès que vous avez remportés jusqu’ici. N’oublions pas cependant qu’il reste encore du chemin à parcourir. Les tâches qui nous attendent exigeront de l’ingéniosité, de la persistance et du dévouement.

L’Organisation mondiale des personnes handicapées est une organisation unique en son genre, qui regroupe une centaine de pays membres. Comme l’a fait observer Irene Feika, une amie qui défend depuis longtemps les personnes handicapées : « L’OMPH a été conçue au Canada, est née à Singapour et vit dans le monde entier ». Ce cinquième congrès mondial témoigne de votre viabilité; il confirme votre mandat « Vox Nostra », qui constitue d’ailleurs un principe démocratique à chérir et protéger.

Je félicite les organisateurs de cette rencontre, qui continuent sans relâche à exposer les problèmes des handicapés sur la scène internationale. Il faut vous rendre un hommage particulier pour l’audace dont vous avez fait preuve afin qu’un groupe de consommateurs puisse défendre les principes de l’égalité, de l’accessibilité, de la participation et de l’intégration à part entière.

Ce soir, mon point de comparaison sera le Canada, mais mes observations touchent directement à la famille humaine, sans égard aux différences géographiques, ethnoculturelles ou économiques.

Du paternalisme au partenariat

Depuis l’Année internationale des personnes handicapées célébrée par les Nations Unies, des gens de toutes les couches sociales ont accompli des progrès remarquables dans tous les domaines qui touchent aux personnes handicapées. De vastes initiatives de recherche, de prévention, de réadaptation et d’action communautaire ont donné un nouveau sens à notre conception de l’égalité et de la vie dans la dignité pour les personnes handicapées. Bon nombre d’entre vous ont été animés par l’objectivité, le dévouement et la créativité dans leurs efforts visant à appliquer l’égalité à tous les aspects de la vie communautaire. Chaque succès encourage d’autres personnes à relever le défi.

Dans le monde entier, les personnes handicapées, leurs réseaux de groupes de pression, des dirigeants du secteur privé, des syndicats, des gouvernements et leurs représentants continuent de conjuguer leurs efforts pour faire avancer la cause des handicapés. Ils sont passés d’une relation de paternalisme à un partenariat réel.

Ils ont cherché activement à détruire les mythes entourant les handicaps et à s’attaquer aux problèmes connexes qui persistaient ou venaient de surgir. Comme le dit le vieil adage, il n’y a que trois types de personnes dans le monde :

  • celles qui font bouger les choses
  • celles qui observent le changement
  • et celles qui se demandent ce qui se passe.

Joshua Malinga, un défenseur de l’OMPH originaire de l’Afrique a donné un précieux conseil à un groupe de politiciens réunis à Montréal, au Canada, en 1992 : « Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». C’est simple, précis et direct ... et c’est ce qui fait bouger les choses. Les personnes handicapées ont conjugué leurs efforts pour concrétiser les buts du Programme d’action mondial des Nations Unies et, plus récemment, des Normes d’égalisation des chances pour les personnes handicapées adoptées par les Nations Unies. Le Canada en est un bon exemple.

Des sociétés autonomes

Comme l’a expliqué le premier ministre du Canada, le très honorable Jean Chrétien, cette année : « Nous sommes riches en ressources à naturelles et humaines. Nous croyons simplement que nous n’avons pas les moyens d’exclure les Canadiens et les Canadiennes handicapés de notre développement social et économique. Cela serait injuste envers eux et, plus important encore, cela serait injuste envers notre société, sa prospérité économique future ainsi que sa qualité de vie. »

C’est une leçon que ne devrait oublier aucun dirigeant politique désireux d’établir une société autonome. La crainte des organisations populaires est le premier facteur qui mène droit à l’échec. Favoriser les organisations populaires signifie bâtir sa démocratie en la faisant reposer sur une égalité inviolable.

Nous vivons maintenant sur une planète où la mondialisation et la technologie nous rapprochent. De nouvelles démocraties naissent dans tous les hémisphères. Nous sommes plus conscients des catastrophes et des privations qui finissent par diminuer chacun de nous en tant que membre de la famille humaine. Nous avons besoin d’organisations de consommateurs pour bâtir les démocraties.

Amartya Sen

Je pense à Amartya Sen, l’économiste renommé et récent lauréat du prix Nobel.

Dans son étude des besoins de ceux qui sont le plus marginalisés dans la société, Sen conclut : « Si un groupe est défavorisé, sa meilleure chance d’être entendu réside dans un régime démocratique... grâce à l’action politique et à la mobilisation. » Les groupes de défense de l’intérêt public et les partis politiques doivent faire mieux comprendre les conséquences de l’injustice et de l’inégalité. Ils doivent unir leurs forces pour parvenir à « l’égalité pour tous » à la véritable mesure d’une société civile.

Dans toute démocratie, les progrès vers l’égalité réelle devraient constituer une expérience libératrice. Pour les Canadiens, ce n’est pas tant une question de dollars et de cents qu’une question de compréhension des problèmes et de leurs conséquences pour la société. Il s’agit de donner une chance équitable et égale à tous les citoyens de mener une vie productive. C’est un objectif que nous devons poursuivre avec vigueur et détermination.

A cet égard, je m’empresse de préciser : un handicap n’est pas seulement une question de santé, c’est une question de citoyenneté, de droits et de responsabilités pour chacun.

Quels droits une société démocratique reconnaît-elle à ses citoyens et protège-t-elle, et comment se vivent ces droits dans la réalité? Même si nous souscrivons tous à la primauté du droit, nous devons veiller à ce que nos lois créent de véritables libertés. Ainsi, la Charte canadienne des droits et libertés combine le droit à une protection égale et à des avantages égaux devant la loi avec une disposition qui interdit la discrimination fondée notamment sur un handicap mental ou physique.

L’accès égal aux services

Mais nous savons tous que, malgré l’importance des droits constitutionnels, il faut des mesures concrètes pour que les droits aient un sens dans la vie des gens. Ces droits devraient se traduire par un accès égal au transport, au logement, à l’éducation, à l’emploi, aux communications et aux loisirs.

Nous savons bien que l’indépendance économique est une clé de la responsabilisation réelle dans toute société où la production et la consommation sont des activités fondamentales. C’est aussi vrai pour une personne handicapée que pour n’importe quel autre citoyen. Par conséquent, l’emploi et l’autonomie financière sont considérés comme des facteurs importants dans la prise de conscience de sa valeur et de l’identité. De nos jours, de plus en plus de personnes handicapées occupent des emplois utiles dans la société, et elles s’y attendent de plus en plus. Le processus de participation au marché doit être appuyé par des systèmes, des attitudes et des initiatives respectant la capacité unique de chaque citoyen d’assumer les responsabilités qui incombent aux membres d’une communauté.

Les répercussions de la technologie

Les innovations technologiques sont un gage d’espoir dans cette recherche actuelle de l’égalité.

Internet est de plus en plus considéré comme le moyen idéal permettant à des personnes et des organisations qui ont des buts communs de poursuivre leurs objectifs. En ce qui concerne l’emploi des personnes handicapées, le Réseau mondial d’informations et de recherche appliquée dans le domaine de l’emploi et de la formation des personnes handicapées est des plus encourageants. Mieux connue sous le nom de Gladnet et inspirée au départ par l’Organisation internationale du travail, cette ONG a démontré de manière novatrice comment les personnes handicapées du monde entier peuvent s’unir en direct.

Plus que jamais, les progrès scientifiques et technologiques facilitent les programmes de formation intégrée, transforment l’« apprentissage permanent » en une réalité pour les personnes handicapées. Le milieu social et physique a été amélioré pour tenir compte de tous les types de handicaps et l’industrie de la réadaptation offre une foule d’innovations en prothétique assistée par ordinateur et en technologies de communications adaptées.

Si ces progrès technologiques ne font pas encore partie de votre quotidien, alors la tâche est inachevée... et nous avons tous un rôle clé à jouer. Permettez-moi de vous donner un exemple de la façon dont le processus peut fonctionner.

Les mines antipersonnel

Nous sommes tous conscients que les troubles civils sont l’une des principales causes de l’instabilité grandissante sur la planète. Le Canada a été louangé récemment par la communauté internationale pour son rôle de chef de file dans l’interdiction mondiale des mines antipersonnel. Le mouvement pour les personnes handicapées dans notre pays a contribué à porter ce problème lié aux armements classiques à l’attention des chefs de gouvernement et des militants communautaires. Les personnes handicapées ont ensuite contribué à définir une politique concrète respectant les valeurs de l’égalité et les notions de paix, qu’ils comprennent bien. A ce jour, 133 pays ont signé la Convention d’Ottawa qui vise à interdire et à détruire les mines antipersonnel. Cette convention entrera en vigueur plus rapidement que toute autre convention de désarmement jamais négociée dans l’histoire, mettant ainsi en évidence la détermination de citoyens du monde entier, des gouvernements et des organisations de la société civile à régler la crise humanitaire provoquée par les mines antipersonnel. Nous devons reconnaître le leadership et l’engagement du pays qui nous accueille aujourd’hui à le Mexique. Ils ont contribué à concrétiser cette initiative de renforcement de la paix.

Des gens comme vous et moi

Les handicapés ne sont pas des héros. Ils ne sont pas différents de vous et moi à comme nous, ils ont des rêves et des aspirations. Leur identité et leurs besoins fondamentaux se révèlent dans la communauté à là où, comme n’importe qui, ils peuvent s’épanouir et tisser les liens avec autrui.

Cette réalité fondamentale m’est apparue clairement lors d’un récent séjour à Georgetown, en Guyane. é’y ai rencontré Julie Lewis, une journaliste qui m’a interviewé et m’a posé des questions perspicaces sur le développement et les handicaps. Mais au fait, vous ai-je dit qu’elle est aveugle? Essayez de vous imaginer la scène. Deux personnes qui se guident mutuellement le long d’un sentier sombre et dangereux, à la recherche d’un endroit où l’on célèbre le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies. La première est confiante et à l’aise, bavardant à propos des questions de l’heure. L’autre est nerveuse et appréhensive. Je ne vous dirai pas qui bavardait avec naturel, mais je vous avoue que Julie Lewis est une jeune femme très indépendante dont la détermination s’exprime au jour le jour à comme il le faudrait.

Parvenir à l’égalité est un travail de longue haleine. Pour ceux d’entre nous qui sont déterminés à contribuer au développement communautaire, les tâches sont partagées avec les bénévoles, les groupes d’affaires et les syndicats, les représentants élus, les professionnels et les enseignants. Ce processus a été confirmé récemment par mon collègue le ministre du Développement des ressources humaines du Canada dans une description des divers éléments d’une stratégie nationale où une société sans obstacles, des partenariats et la responsabilité partagée sont à l’ordre du jour. La fin et les moyens sont complémentaires.

Dans la même veine, il existe à l’Université de l’Alberta, au Canada, un centre de réadaptation où Gary McPherson, un bon ami à moi, apporte désormais ses compétences. Gary personnifie le partenariat et la citoyenneté et il fait remarquer, à juste titre : « Le succès se mesure aux « on peut », l’échec, aux « on ne peut pas ».

En outre, les partenariats et les forces comme les vôtres apportent une énergie et des idées nouvelles pour relever les défis de la mondialisation; ils sont le ferment de relations qui bâtissent l’égalité et qui en nourrissent la croissance dans la société.

Dans une démocratie, l’égalité signifie changer d’attitudes et abolir les obstacles qui empêchent une participation complète aux affaires communautaires.

Dans une démocratie, l’égalité signifie partager et contribuer à la vie sociale et économique du pays.

Dans une démocratie, l’égalité signifie l’indépendance : décider soi-même de sa vie quotidienne.

Comme nous le savons tous, il y a plus de 500 millions de personnes handicapées sur la planète. Le handicap ne fait pas de discrimination. Il existe dans tous les pays et dans toutes les collectivités; il touche toutes les cultures et tous les groupes d’âge, tous les niveaux économiques et toutes les origines sociales.

A la 4e Assemblée mondiale de l’OMPH à Sydney, en Australie, l’archevêque Desmond Tutu a déclaré que les personnes handicapées « peuvent aider la société à devenir plus bienveillante, plus compatissante et plus reconnaissante à propos de ce qu’un grand nombre d’entre nous ont tendance à considérer comme acquis ». Cette idée d’une société plus humanitaire est partagée de remarquable façon dans le monde entier.

A Akwesasne, un village autochtone à la frontière entre le Canada et les Itats-Unis, les anciens disent : « Parfois, le Créateur envoie une personne handicapée en cadeau à la collectivité ».

Si vous en voulez la preuve, visitez l’Asociacón Pro Personas Con Parálisis Cerebral ici même à Mexico. C’est une vraie déclaration d’amour! Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.

Même si nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli jusqu’ici, nous reconnaissons qu’il y a encore beaucoup de pain sur la planche chez nous et à l’étranger. Le nombre de personnes handicapées augmente dans le monde, en partie à cause des troubles civils, de la baisse des programmes de prévention et de l’insuffisance des programmes d’éducation publique. Un grand nombre de personnes handicapées sont encore exclues des processus décisionnels qui touchent directement à leur vie. Une participation et une intégration à part entière dans la société et une productivité complète sont des objectifs qui nous échappent encore.

Nous devons améliorer notre capacité de partager les ressources, les technologies et les expériences au sein de tribunes comme l’Organisation mondiale des personnes handicapées et les Nations Unies.

Conclusion

Je suis heureux de constater la participation de M. Bengt Lindqvist à notre rapporteur spécial exemplaire des Nations Unies. Dans son plus récent rapport sur les handicaps dans le monde, il fait observer qu’il y a un décalage important entre les déclarations d’intention des gouvernements et la réalité quotidienne de centaines de millions de personnes handicapées. Grâce à ses conseils, à son énergie, à ses connaissances et à ses compétences, le sort des personnes handicapées restera à l’ordre du jour international.

Car, quels que soient le pays, la situation ou les aspirations particulières et la complexité de la tâche, nous devons travailler ensemble pour que la famille humaine soit un monde d’égalité.

Pour citer Alfred Adler, psychiatre autrichien renommé : « Il est plus facile de lutter pour ses principes que de les mettre en pratique ». Tout compte fait, c’est le défi qui nous attend à l’aube du XXIe siècle.

Enfin, je remercie Skip Brooks, du Canada, qui s’est occupé pendant de nombreuses années des questions relatives aux personnes handicapes et qui a beaucoup aidé.

Que Dieu bénisse chacun d’entre vous!


 

 
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