[English]
Les
défis du microcrédit
Par l’hon.
David Kilgour, Secrétaire d’État du Canada
pour l’Amérique latine et l’Afrique
Document préparé en prévision des conseils
du Sommet sur le microcrédit qui se tiendra
à New York, NY, du 25 au 27 juin 1998
L’ingéniosité
de l’être humain semble parfois sans
limite.
Même dans les pays les plus pauvres, peut-être
en particulier dans ces pays, l’aptitude
des gens à élaborer des stratégies de lutte
pour leur survie est impressionnante. Les
5,9 milliards de corésidants de la
planète peuvent en apprendre beaucoup des
capacités de survie des plus pauvres.
Cette observation
peut sembler une évidence à la plupart des
participants à cette conférence.
Cependant,
bien trop souvent, on a une tendance dans
le monde dit industrialisé à blâmer le pauvre
pour sa misère, à attribuer sa situation
à un manque d’initiative. Il n’y a rien
de plus faux.
Ceux d’entre
nous qui voient dans le microcrédit et la
microentreprise comme des moyens d’alléger
la pauvreté partagent une croyance fondamentale
sur la nature de la pauvreté : le pauvre
ne veut pas être pauvre et avec des outils
appropriés, il a en lui les moyens de s’extirper
de sa misère.
Deux aspects
fondamentaux doivent être pris en compte
par ceux qui pensent que le microcrédit
constitue un outil fondamental pour l’allégement
de la pauvreté :
- Nous devons
prouver aux sceptiques que le microcrédit
donne des résultats et que le pauvre est
un bon risque-crédit;
- Nous devons
trouver des moyens d’adapter et de reproduire
des modèles de microcrédit réussis pour
nous attaquer à la pauvreté dans un plus
vaste éventail de milieux culturels et
sociaux.
Blâmer
le pauvre
Un des grands
obstacles à l’échec à la pauvreté est le
manque de crédit suffisant pour l’achat
de stocks ou de matériel nécessaires à la
création de petites entreprises viables.
Cette situation découle largement de la
fausse croyance selon laquelle le pauvre
est un mauvais risque-crédit, croyance qui
dérive de la tendance à rendre le PAUVRE
responsable de sa misère.
Les créanciers
hésitent aussi à prêter aux plus pauvres
parce que ces derniers n’ont pas de biens
à donner en garantie. De plus, les coûts
administratifs de ces prêts, qui habituellement
engagent de petites sommes, semblent les
rendre moins profitables que les plus gros
prêts à un plus petit nombre d’emprunteurs
sûrs.
Le microcrédit
existe depuis assez longtemps et a donné
suffisamment de résultats heureux pour dissiper
ces idées fausses. Lorsqu’on leur en donne
la possibilité, bon nombre des plus pauvres
du monde possèdent la motivation et l’intelligence
de rue pour briser le cercle vicieux de
la pauvreté. De plus, les taux de remboursement
du microcrédit sont souvent beaucoup plus
élevés que ceux des prêts habituels aux
petites entreprises. Cette réalité a d’énormes
implications dans un effort plus vaste de
lutte mondiale contre la pauvreté.
Je n’entends
pas par là que dans chaque pauvre dort un
entrepreneur possible ni que le microcrédit
soit une panacée pouvant alléger la pauvreté
n’importe où et dans toutes les
circonstances.
La diversité des cultures, des situations
et des particuliers rend les choses beaucoup
complexes. Elle nous impose aussi notre
plus grand défi : comment reproduire
et adapter les expériences heureuses réalisées
avec le microcrédit dans des conditions
culturelles et sociales très
diversifiées.
Bon nombre
d’entre vous ont entendu parler de la Grameen
Bank, du Bangladesh, qui a prêté avec succès
de l’argent à certains des plus nécessiteux
du monde et a eu des taux de remboursement
qui sont allés jusqu’à 98 p. 100.
Bon nombre d’entre nous ont aussi suivi
avec intérêt l’évolution de la BancoSol
de Bolivie, qui était au départ une ONG,
mais qui a eu assez de succès pour devenir
une banque commerciale. Ces expériences
ont non seulement permis de donner des capitaux
de démarrage à de nombreuses petites
entreprises,
mais elles ont aussi servi de véhicule d’épargne
permettant à ces banques de se diriger vers
l’autonomie.
Cependant,
comment appliquer les leçons tirées de ces
expériences aux communautés appauvries des
zones urbaines du Nord? Alors que les relations
avec les pairs et le sens de la communauté
sont tellement déterminants dans le succès
des programmes de microcrédit comme ceux
de la Grameen Bank, comment pouvons-nous
appliquer ces leçons à des voisinages beaucoup
plus transitoires où les liens communautaires
sont beaucoup faibles ou en apparence
inexistants?
C’est là notre plus grande tâche.
Dans mes
voyages à titre de Secrétaire d’État du
Canada pour l’Amérique latine et l’Afrique,
j’ai visité un certain nombre de projets
de microcrédit réussis en Afrique, en Amérique
latine et aux Antilles. Ils revêtent des
formes différentes : certains sont
dans des zones rurales, d’autres dans des
villes. Il y en a des gros et des petits
et certains plus formels que d’autres. Le
taux d’éducation des participants varie
grandement tout comme le degré de
pauvreté.
On note cependant une constante : les
microentrepreneurs qui réussissent le mieux
sont en général des femmes, bien que les
hommes connaissent aussi du succès.
Rehausser
l’estime de soi
L’élément
le plus courant de ces programmes de
microcrédit,
qu’ils soient dans le nord du Pérou ou l’ouest
du Mali, tient dans le sentiment de fierté
que l’on ressent chez les participants.
La création ou l’expansion d’une entreprise
viable et le remboursement à temps des capitaux
de démarrage représentent une réalisation
personnelle qui rehausse l’estime de soi
et confèrent des compétences en gestion.
Cet effet heureux du microcrédit, la prise
en charge de soi, a au moins autant d’importance
que les réussites financières.
Les projets
les plus heureux semblent être ceux où les
participants éprouvent un sentiment de propriété
face à ce qu’ils ont accompli, tant dans
les microentreprises particulières qu’ils
ont créées que dans le système de microcrédit
lui-même. Dans le monde du microcrédit,
les structures pyramidales ne fonctionnent
simplement pas. Injecter des sommes de l’extérieur
pour tenter de régler un problème risque
de reprendre les mêmes erreurs qui ont perpétué
la dépendance à l’égard de l’aide étrangère
pendant de nombreuses années.
Cela pose
un dilemme aux donateurs internationaux,
tant publics que privés, qui ont souvent
à fournir des fonds aux stades de départ.
Ces organisations sont comptables de leurs
décisions et doivent montrer que leurs fonds
ont été investis à bon escient. En fait,
si une trop grosse part de la microgestion
est laissée à des étrangers, les bénéficiaires
perdent habituellement le sens de propriété
si fondamental au succès de ces programmes.
C’est la raison pour laquelle bon nombre
de programmes supportés par le Canada, le
fonds Pérou-Canada par exemple, procèdent
selon le principe de l’indépendance et recourent
autant que possible à la population locale.
Mesurer
le succès
Comme je
l’ai dit antérieurement, l’un des deux grands
défis qui nous attendent est de montrer
que les programmes de microcrédit donnent
de bons résultats et que le pauvre peut
être un bon risque-crédit. Mais comment
mesurer le succès? Les taux de
remboursement,
le succès des microentreprises particulières
créées et la capacité des programmes de
microcrédit à devenir financièrement autonomes
sont de grands indicateurs de succès.
Cependant,
ce ne sont pas les seuls.
Un facteur
plus subjectif, bien qu’aussi important,
tient dans la mesure dans laquelle le microcrédit
permet aux participants de se prendre en
charge. Les familles qui acquièrent des
compétences en gestion des affaires et de
l’argent à partir de cette expérience gardent
ces compétences toute leur vie. Le pauvre,
en particulier la femme, souffre souvent
d’un sentiment d’impuissance et de manque
d’estime de soi. Grâce au soutien des pairs
et à de petits succès, il acquiert la confiance
qui lui permet d’arriver à des réussites
même supérieures. Le succès financier des
microentreprises donne non seulement les
moyens de rembourser les prêts, mais peut,
parfois, engendrer le fonds de roulement
qui permet de poursuivre et d’agrandir l’entreprise.
Bien
entendu,
il ne suffit pas simplement de consentir
des prêts, même aux emprunteurs les plus
motivés. Le microcrédit suppose une approche
holistique engageant le soutien des pairs,
l’acquisition de compétences et souvent
des modifications du mode de vie. Les 16
décisions que les emprunteurs de la Grameen
Bank ont dû prendre ont été critiquées par
certains qui ont allégué une intrusion excessive
dans la vie personnelle des participants.
Cependant, il est difficile de l’extérieur
de juger de la pertinence de ces changements
de vie dans une autre culture.
Manifestement,
le microcrédit a la plus forte chance d’extirper
les populations de la pauvreté lorsqu’il
est appliqué d’une façon holistique qui
tient compte de ce que la pauvreté elle-même
est un mode de vie.
Reproduire
le succès
La deuxième
tâche, en l’occurrence la reproduction du
succès des programmes de microcrédit, est
plus difficile. Comme on l’a souligné, cela
tient au fait qu’il n’existe pas de modèle
unique de pauvreté et que les cultures mondiales
sont si diversifiées. Le soutien des pairs
accordés dans les cercles de prêt du Bangladesh
est plus difficile à retrouver dans les
voisinages transitoires des zones urbaines
d’Amérique du Nord ou d’Europe, par
exemple.
Cependant,
des éléments communs à la plupart des régions
pauvres laissent croire qu’il est possible
de tirer des leçons et de les appliquer
ailleurs. Les dernières décennies, une tendance
notée de Mexico à Lagos tient dans l’exode
des zones rurales vers les villes. De la
sorte, des populations nombreuses se sont
retrouvées sans terre à offrir en nantissement
avant d’avoir pu s’établir dans les villes
où elles ont migré. La conséquence en a
été la croissance rapide de « l’économie
parallèle », le pauvre imaginant de
nombreuses petites entreprises pour
survivre.
La croissance
de « l’économie parallèle » dans
le Sud n’est pas indépendante d’un autre
phénomène constaté dans le Nord : la
progression du travail autonome et des entreprises
à domicile. Ce phénomène n’est pas le résultat
de la migration, mais toutefois d’une mutation
économique structurelle. Les grandes sociétés
et les fonctions publiques ont réduit leur
effectif, le nombre de cadres intermédiaires
s’est érodé et de nombreux emplois de cols
bleus ont été délocalisés ou sont devenus
désuets sous l’effet de la technologie.
Il existe
un facteur commun entre la migration urbaine
dans le Sud et le passage au travail autonome
dans le Nord : la nécessité de nouveaux
types de crédit novateurs, adaptés aux très
petits entrepreneurs. Cependant, au Nord
comme au Sud, c’est précisément ce secteur
qui a eu le plus de difficulté à obtenir
du crédit des institutions financières
traditionnelles. Paradoxalement, ce sont les très petits
entreprises tant du Nord que du Sud qui
ont créé le plus grand nombre d’emplois.
Le microcrédit
n’est pas nouveau. Voilà plus de deux décennies
que Muhammed Yunus a lancé les expériences
qui ont abouti à la création de la Grameen
Bank et diverses formes de crédit
informel,
à petite échelle, ont existé pratiquement
depuis le début. Ceux d’entre vous qui appartiennent
à la communauté du développement international
connaissent bien ces cas. Les vielles attitudes
persistent encore, en particulier la fausse
idée selon laquelle le pauvre est un mauvais
risque-crédit et qu’il est à blâmer pour
sa propre infortune. Manifestement, nous
devons faire connaître davantage les succès
atteints avec le microcrédit au grand public
et à la communauté internationale.
La seconde
tâche, la reproduction et l’adaptation de
programmes réussis, est aussi tributaire
d’une meilleure diffusion de l’information.
Il ne nous suffit pas de nous parler entre
nous, bien que ce soit un très bon départ.
Nous devons trouver des moyens efficaces
de permettre à ceux qui ont bénéficié du
microcrédit de faire part de leurs expériences
directement à d’autres communautés qui sont
à un stade plus précoce du processus.
Ces deux
tâches peuvent se résumer en une troisième :
la nécessité de diffuser le message. La
présente conférence et les précédentes sont
un pas important dans cette voie.
Parallèlement,
la somme d’information sur le microcrédit
disséminée à l’échelle internationale par
l’Internet est très impressionnante.
Cependant,
il faut communiquer ce message à la base
et laisser ceux qui ont bénéficié du microcrédit
s’exprimer par eux-mêmes. Ce sont les meilleures
preuves du succès et la plus grande source
de sagesse.
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