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Le
Canada et la nouvelle Afrique
Allocution
de l'honorable David Kilgour, secrétaire
d'État pour l'Amérique latine et
l'Afrique,
à l'occasion de la Conférence de l'African
Society : « L'Afrique et le XXIe siècle »
Université de l'Alberta, Edmonton, Le 28
février 1998
Merci
de m'avoir invité à prendre la parole à
cette réunion de clôture de votre
Conférence.
On me dit que vous avez eu des discussions
fructueuses sur un grand nombre de sujets
intéressant l'Afrique, aussi bien dans l'immédiat
que pour l'avenir.
Votre réunion présente à mes yeux un intérêt
particulier, puisqu'elle porte sur une des
deux régions dont j'ai la charge. La création
même de mon poste illustre l'importance
que le Canada attache à ses relations avec
l'Afrique.
Étant à ce poste depuis plus de six mois,
j'ai eu l'occasion de me rendre dans un
certain nombre de pays d'Afrique, et de
rencontrer plusieurs dirigeants africains.
J'ai été profondément impressionné par la
détermination de nombreux Africains à relever
les défis de développement auxquels ils
sont confrontés. L'Afrique s'oriente de
plus en plus vers la paix, le progrès démocratique
et la croissance économique.
Comme beaucoup d'autres, je reste perplexe
devant l'ampleur des problèmes que de nombreux
pays d'Afrique doivent encore affronter,
ou cherchent à résoudre sans savoir comment
s'y prendre. Le Kenya, le Rwanda et le Nigéria
connaissent de graves problèmes au niveau
des droits de la personne. Le Soudan, le
Burundi et l'Angola demeurent aux prises
avec des conflits et des guerres civiles.
La Zambie, le Cameroun et le Zimbabwe continuent
de se heurter à des difficultés de
gouvernement.
Dans l'ensemble, pourtant, mon expérience
africaine a fait de moi un Afro-optimiste.
De nombreux pays d'Afrique connaissent une
renaissance véritable. L'émergence de l'Afrique
en tant que continent stable et prospère
est, bien sûr, importante pour tous les
autres continents. Les liens du Canada avec
l'Afrique n'ont cessé de croître depuis
l'époque des John Diefenbaker et Mike Pearson.
Ces deux leaders savaient ce que l'Afrique
représente pour le monde et ce qu'elle est
capable de lui apporter.
Avec la fin de l'apartheid en Afrique du
Sud et les progrès de la démocratie dans
beaucoup d'autres pays du continent, le
reste du monde a de plus en plus de raisons
d'espérer que l'Afrique réalisera enfin
son potentiel. Nous, Canadiens, devrons
certes continuer de lui prêter assistance.
Mais, à terme, le meilleur moyen de régler
les problèmes de l'Afrique consiste à développer
ses propres capacités, aussi bien dans le
domaine du commerce que pour l'instauration
de la paix et de la démocratie. Ce sont
les Africains eux-mêmes qui doivent donner
l'élan en vue du changement.
Afrique
centrale
En
septembre, je me suis rendu en Ouganda,
au Rwanda et au Kenya, où j'ai pu constater
par moi-même que nos idées reçues sur l'Afrique
sont dépassées. À Kampala, j'ai appris que
2 000 entreprises se sont établies
en Ouganda ces dernières années. Au Rwanda,
par ailleurs, les observateurs affirment
qu'il y a eu de réels progrès économiques
pour certains - mais pas pour tous - depuis
la catastrophe de 1994 et que, malgré d'énormes
difficultés, le gouvernement en place cherche
vraiment à réconcilier les différentes
communautés.
Une
expérience en cours au Rwanda illustre à
la fois les espoirs que suscite l'avenir
de l'Afrique et les défis qui restent à
relever dans l'immédiat. J'ai eu l'occasion
de visiter le site d’un projet de fabrication
de portes, de fenêtres et d'autres matériaux
de construction domiciliaire, financé en
partie par le Canada et qui donne du travail
à des femmes demeurées veuves à la suite
des violences qui ont dévasté le pays. À
première vue, j'ai été frappé par la profonde
tragédie du génocide qui a enlevé leurs
maris à ces femmes. Après les avoir
rencontrées, toutefois, une autre idée m'est
apparue,
me donnant des raisons d'espérer. Ces femmes
appartiennent aux trois principaux groupes
culturels : Hutu, Tutsi et Batwa. Or,
malgré la violence interethnique d'un passé
récent, elles travaillent ensemble à l'instauration
d'un nouvel esprit communautaire propre
à transcender les divisions ethniques.
Révérend
Curic
Je
ne veux pas dire par là que les conflits
du passé peuvent être aisément oubliés.
J'ai été très attristé en apprenant, il
y a un mois, l'assassinat du révérend Vjekoslav
Curic, un merveilleux missionnaire croate
qui participait au projet des veuves et
que j'avais rencontré en septembre.
Pourtant,
le projet continue, ce qui me fait espérer
que d'autres collectivités du continent
sauront unir leurs efforts pour construire
une nouvelle Afrique au XXIe siècle.
La
consolidation de la paix, le développement
de la démocratie, la prévention des
conflits,
la mise en place de mécanismes de réaction
rapide, voilà autant d'éléments qui permettront
d'assurer à l'Afrique une prospérité durable
au siècle prochain. Ce sont tous là des
domaines dans lesquels le Canada s'est doté
de compétences et peut jouer un rôle. La
promotion de la sécurité humaine en Afrique
est dans notre intérêt à tous.
Secrétaire
général Annan
Dans
un discours passionné en faveur des droits
de l'homme, prononcé l'an dernier, le Secrétaire
général de l'ONU, M. Kofi Annan,
faisait valoir que les « droits de
l'homme sont les droits de l'Afrique ».
Le gouvernement canadien est tout à fait
d'accord sur ce point. Le respect des droits
de la personne et la primauté du droit sont
essentiels au développement de l'Afrique.
Dans
cette optique, le Canada est au premier
plan de la réaction internationale face
à la brutale dictature militaire au
Nigéria.
Vous vous souvenez tous de la dernière fois
que le Canada a travaillé au sein du Commonwealth
afin d'amener une évolution majeure en Afrique
en exerçant des pressions pour mettre fin
à l'apartheid en Afrique du Sud. Cette
fois-ci,
nous comptons nous servir du Commonwealth
pour susciter un changement positif au
Nigéria.
À la
suite de la pendaison de l'écrivain Ken
Saro-Wiwa, en 1995, le Nigéria a été suspendu
du Commonwealth. D'autre part, le Groupe
d'action ministériel du Commonwealth (GAMC)
a été institué pour décider des actions
collectives à prendre dans de telles situations.
Par la Déclaration de Harare de 1991, les
gouvernements membres se sont engagés à
promouvoir la démocratie, le bon gouvernement
et les valeurs humaines fondamentales dans
l'ensemble du Commonwealth. Le GAMC s'occupe
de coordonner la réaction des pays membres
face à une situation des droits de la personne
au Nigéria que je ne saurais qualifier que
d'épouvantable. Toute opposition est
étouffée.
Les prisons sont pleines de politiciens,
de syndicalistes, de militants pour la
démocratie,
ainsi que d'autres personnes simplement
soupçonnées de nourrir des sentiments
antigouvernementaux.
Le Commonwealth a donné au Nigéria jusqu'au
1er octobre de cette année
pour revenir à l'État de droit, à un gouvernement
civil démocratiquement élu et à la reconnaissance
des droits fondamentaux des citoyens, et
pour libérer tous les prisonniers
politiques.
GAMC
Demain,
je partirai pour Londres, en compagnie du
ministre des Affaires étrangères, M. Lloyd Axworthy,
pour prendre part à la 10e réunion
du GAMC. Là-bas, nous examinerons ce qu'il
est possible de faire à propos d'une situation
qui, franchement, ne s'améliore pas.
Malgré
de tels contretemps, l'Afrique nous donne
de bonnes raisons d'être optimistes. De
façon générale, les dirigeants africains
reconnaissent que le continent doit cesser
de dépendre de l'aide pour compter plutôt
sur le commerce. Plusieurs pays ont pris
des mesures qui ont abouti à une croissance
réelle. Le Botswana, Maurice et l'Ouganda
en sont des exemples. J'espère que cette
tendance se renforcera au XXIe siècle.
Le
Canada achemine vers l'Afrique 45 p.
100 de son aide bilatérale au développement
et plus de la moitié de ses secours
humanitaires.
Il a par ailleurs joué un rôle de chef de
file en ce qui concerne la remise des dettes
des pays les plus pauvres. Je constate avec
plaisir que, dans son récent budget pour
1998, le Canada a fermement maintenu ses
engagements en matière d'aide au
développement.
Aide
c. investissement/commerce
L'aide,
toutefois, a tendance à s'autoperpétuer.
Les dirigeants africains sont d'avis que,
pour échapper à sa dépendance à l'égard
de l'aide, le continent doit intensifier
ses échanges commerciaux. Comme l'ont fait
remarquer certains de ceux qui ont pris
la parole à cette Conférence, dans un climat
de mondialisation, l'expansion du commerce
peut entraîner des perturbations sociales.
Les plus pauvres sont souvent les plus durement
touchés par les mutations économiques. Pour
eux, et pour les victimes de la crise, les
secours humanitaires devront continuer
d'arriver.
À terme, cependant, c'est dans la croissance
économique et dans une participation accrue
au commerce international que réside la
clé de la prospérité de l'Afrique.
Les
Africains conservent un souvenir vivace
de l'époque coloniale. C'est pourquoi, après
avoir accédé à l'indépendance, de nombreux
pays du continent se sont imposé une sorte
d'exil économique. Mais cet isolationnisme
n'a pas fonctionné. Aujourd'hui, beaucoup
de leaders africains progressistes cherchent
à construire des économies internationalement
viables - non pas des économies à structures
néo-coloniales, mais des économies dont
les Africains eux-mêmes sont le principal
moteur. Ainsi, j'ai été impressionné par
la volonté du président ougandais Museveni
d'accroître les exportations de produits
agricoles à valeur ajoutée de son pays et
de rechercher de nouveaux marchés.
Le
Canada est fermement convaincu du potentiel
que présente l'Afrique, à la fois comme
partenaire commercial et comme destination
des investissements canadiens. Nous sommes
encouragés par le rôle de moteur de la croissance
économique du continent que joue désormais
l'Afrique du Sud, ainsi que par l'influence
qu'elle exerce sur l'ensemble de l'Afrique
australe en faveur de la paix et de la
stabilité.
Il est réconfortant de voir l'Afrique du
Sud et le Mozambique, autrefois ennemis,
coopérer à la mise en place de moyens de
transport et d'infrastructures qui permettront
aux produits sud-africains d'être expédiés
à partir du port en eau profonde de Maputo.
Les
entreprises canadiennes sont présentes dans
un certain nombre de secteurs clés en
Afrique,
notamment les mines, les télécommunications
et les services d'ingénierie. D'après la
Rand Merchant Bank d'Afrique du Sud, plus
de la moitié des nouvelles opérations minières
en Afrique font intervenir des entreprises
canadiennes. En 1996, nos exportations vers
l'Afrique se chiffraient à plus de 1,4 milliard
de dollars, et nos importations depuis ce
continent, à plus de 2 milliards de
dollars.
Les
échanges commerciaux entre le Canada et
l'Afrique sont appelés à connaître une bien
plus grande expansion - une expansion qui
profitera à la fois aux Canadiens et aux
Africains et à laquelle les Canadiens d'origine
africaine prendront une part essentielle.
Voilà pourquoi je conduirai une mission
commerciale de deux semaines en Afrique
au mois d'avril. Je compte me rendre au
Ghana, au Togo, en Côte d'Ivoire, au Mali,
en Afrique du Sud et en Tanzanie, en compagnie
de représentants de petites et moyennes
entreprises. J'espère que cette mission
renforcera les relations entre le Canada
et l'Afrique et contribuera au développement
de ce continent.
Parmi
les nombreux liens tissés au fil des ans
entre le Canada et l'Afrique, je tiens à
mentionner tout spécialement ceux qui résultent
de la présence d'un grand nombre d'étudiants
africains dans les universités
canadiennes.
Je suis heureux de constater que vous tous
ici présents concourez, d'une façon ou d'une
autre, à enrichir notre relation.
De
nombreuses régions d'Afrique avancent dans
la voie du développement économique et social.
De nouveaux progrès se font jour en ce qui
concerne la paix et le gouvernement
démocratique.
Ces tendances sont loin d'être
universelles,
mais je crois qu'elles sont le signe d'un
élan grandissant qui portera l'Afrique vers
le nouveau millénaire. Grâce au Commonwealth
et à la Francophonie, le Canada a une longue
tradition d'amitié avec les pays
d'Afrique,
une tradition qui n'a pas été ternie par
le colonialisme. Les Canadiens portent intérêt
au développement de l'Afrique, et cet intérêt
ne pourra que grandir à mesure que s'accroîtra
l'influence de l'Afrique dans le monde.
Je vous remercie.
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