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Arrêter le génocide au Darfour : Une question de volonté Notes for Address by Hon. David Kilgour, M.P. Edmonton-Mill Woods-Beaumont Conférence sur la prévention des génocides Université d’Ottawa Ottawa, Ont.November 18, 2005 Mesdames et messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre présence à cette conférence et de votre participation à cette très importante discussion. Il semble que même aujourd’hui, en ce nouveau millénaire, nous n’avons toujours pas appris à respecter et à soutenir nos frères et sœurs, et les habitants du Darfour ne font pas exception.
Malheureusement, la situation au Darfour, une région du Soudan déchirée par les conflits, s’est une fois de plus profondément détériorée selon António Guterres, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR). Il met en garde contre la possibilité d’une catastrophe imminente qui pourrait avoir « des effets dévastateurs » sur les pays limitrophes et sur d’autres régions du Soudan. « Ce dont nous sommes témoins sur le terrain est une forte détérioration de la situation », a indiqué Guterres devant les journalistes.
Au cours des derniers mois, la confusion et le chaos ont pris une place plus importante dans ce conflit. Les rebelles combattent d’autres rebelles, des liens entre des membres des Janjaweed et le gouvernement se sont brisés et les troupes de l’Union africaine, qui travaillent à rétablir le climat de paix, se retrouvent elles-mêmes la cible d’attaques. « Nous avons perdu le contrôle du Darfour », a dit Eltayeb Hag Ateya, responsable du Peace Studies Institute à l’Université de Khartoum, « ce n’est plus un combat entre le gouvernement et les rebelles, c’est un combat entre deux groupes armés. La situation devient de plus en plus complexe jour après jour ».
La plupart des personnes déplacées (IDP) sont maintenant dans des camps que le gouvernement du Soudan continue de contrôler et de faire vivre sous la menace par l’entremise des Janjaweed, une milice qui joue un rôle similaire à celui des Interhamwe au Rwanda durant la période allant d’avril à juin 1994. L’ancien coordonnateur des droits de la personne de l’ONU au Soudan, Mukesh Kapila, un observateur des génocides du Rwanda et du Darfour, a écrit, en mars 2004, que « la seule différence entre le Rwanda et le Darfour est le nombre de personnes impliquées ».
Maintenir la paix
Permettez-moi de citer un de mes amis personnels et un universitaire très bien informé du Smith College, Eric Reeves, lorsqu’il commente dans son dernier article : « Au Darfour, nous sommes témoins d’un échec aussi malhonnête que lâche. La communauté internationale a convenablement choisi de tout mettre entre les mains de la force d’observation de l’Union africaine (UA) afin d’assurer la sécurité de la population au cœur de ce climat de violence qui n’a jamais été contrôlé et qui, une fois de plus, s’aggrave. » Il ajoute ensuite : « Une attention particulière doit être portée principalement aux lacunes de l’UA. Il ne s’agit pas de lacunes accidentelles ou secondaires, ce sont des lacunes fondamentales : militaires, politiques, diplomatiques et morales. »
Les soldats de l’UA sont handicapés par leur mandat, qui ne leur permet pas d’enquêter ou de mettre des personnes en état d’arrestation. Ces soldats manquent de ressources et d’expérience sur le terrain. Dernièrement, lorsque la police a fait une descente à Tawila, un camp de personnes déplacées au Darfour, ouvrant le feu sur de présumés rebelles et brûlant plusieurs constructions, les soldats de l’UA ont regardé la scène de loin et ne sont pas intervenus.
Néanmoins, il leur est impossible de demeurer totalement en retrait. Un convoi de l’UA est tombé dans une embuscade le 8 octobre dans la région de Khorabashi dans le sud du Darfour. Au cours de cette embuscade, quatre soldats nigérians et deux entrepreneurs civils ont été tués. Le lendemain, un groupe de rebelles a enlevé, dans la ville de Tine, 38 soldats de l’UA, qui ont plus tard été secourus, afin d’avertir l’UA de ne pas intervenir sur leur territoire.
Le courageux ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Cheikh Tidiane Gaido, est un des quelques dirigeants africains qui sait que l’Afrique ne peut mettre un terme aux souffrances du Darfour. Il a déclaré que la situation au Darfour est « totalement inacceptable » et il croit que « le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union européenne, l’Union africaine et les États-Unis […] devraient s’unir afin de trouver une nouvelle voie permettant de mettre un terme aux souffrances de la population du Darfour… Il faut faire quelque chose ».
Toutefois, les victimes innocentes dans les camps et les soldats de l’UA ne sont pas les seules victimes des attaques des Janjaweed. Un nouveau rapport du Small Arms Survey et du Centre pour le dialogue humanitaire, tous deux établis à Genève, démontre que le nombre de victimes chez les travailleurs humanitaires a atteint un sommet jamais vu depuis le génocide du milieu des années 1990 au Rwanda. La violence est le plus sérieux obstacle de l’apport d’aide humanitaire.
Chaque fois qu’un employé international est blessé ou menacé d’une arme à feu, tous les programmes de secours ou de développement sont compromis. Les coups de feu mettent un frein au creusage des puits, à l’approvisionnement en eau, à la prestation des services d’hygiène et amputent l’aide à la subsistance. Puisqu’un nombre grandissant de travailleurs humanitaires sont la cible de telles attaques, une « culture du retrait » s’installe.
L’aide humanitaire, avec le retrait de 11 000 travailleurs humanitaires du Darfour, risque d’être arrêtée. C’est l’évaluation qu’en fait Jan Egeland, sous-secrétaire des affaires humanitaires des Nations Unies (ONU), à la suite d’une escalade de la violence contre les travailleurs humanitaires.
Eric Reeves
Permettez-moi de paraphraser Eric Reeves sur quelques-uns des points fondamentaux à l’égard de la situation actuelle au Darfour.
· M. Reeves cite le Haut Commissaire des Nations Unies sur les réfugiés lorsqu’il a affirmé le 21 octobre que « le cessez-le-feu au Darfour perdait de la force » et « que la force de maintien de la paix de l’Union africaine était désespérément en sous-effectif et sous-équipée et que le monde semblait avoir perdu de l’intérêt envers ce conflit. » « Nous perdons le contrôle sur absolument tout… Même nos travailleurs (humanitaires) peuvent à peine se déplacer. Nous ne sommes pas en sécurité. » Et il a finalement ajouté que « la force de maintien de la paix de l’UA ne peut protéger la population du Darfour de façon efficace et, parfois, ils ne peuvent même pas se protéger eux-mêmes… la tâche que doivent relever ces soldats novices s’apparente à mettre un policier en poste à Londres et à lui demander de mettre un terme à tous les crimes au Darfour. »
· M. Reeves nous rappelle que des centaines d’attaques menées par Khartoum et ses Janjaweed ont déjà été rapportées par l’UA, les groupes pour les droits de la personne, l’ONU, les organismes humanitaires, les journalistes sur le terrain et les observateurs au cours des 32 mois de conflit. De 80 % à 90 % de tous les villages africains ont été violemment détruits.
· Eric poursuit en affirmant que la meilleure preuve tirée de divers organismes indépendants suggère fortement qu’un « nombre de 200 000 […] tuées violemment au cours du conflit est très conservateur. » Le nombre total de décès à ce jour, combiné à l’estimation de l’ONU du nombre de décès causés par la maladie et la malnutrition qui était de 180 000 en mars 2005, est d’environ 400 000 personnes, soit un peu plus de la moitié de l’estimation la plus basse du nombre de décès au Rwanda.
· Le climat d’impunité ne s’est pas estompé depuis l’élection d’un gouvernement formé par le Front national islamique (FNI) en 1989. Le FNI, « encore plus dominant sous le nouveau gouvernement d’unité nationale », accroît délibérément le niveau de violence et d’insécurité comme une mesure de guerre anti-insurrectionnelle dont l’objectif manifeste est d’accélérer la décimation des populations tribales africaines de la région.
· Finalement, M. Reeves écrit qu’il reste un mois de moins avant de sombrer dans l’abîme. Jan Egeland nous a mis en garde il y a quelques semaines lorsqu’il a dit que nous devrions peut‑être mettre un terme à l’aide apportée aux 2,5 millions de déplacés du Darfour. « Ma question est la suivante : est-ce à nouveau (Darfour) une répétition des présumées zones de sécurité de la Bosnie? Nous aidons la population, nous leur donnons de la nourriture, des médicaments, nous construisons des écoles, mais nous ne protégeons ni la population, ni nos employés non armés. C’est là que le massacre se produit. »
Approche constructive
Alors qu’un grand nombre de personnes à l’étranger, m’a-t-on dit à plusieurs reprises, s’attendaient à ce que le Canada joue un rôle de catalyseur dans l’arrêt du génocide au Darfour, la poursuite de la quête du gouvernement Martin vers « l’approche constructive » avec la junte militaire du Soudan est de plus en plus difficile à défendre. Une telle approche doit, au meilleur de ma connaissance, ne jamais donner de résultats concluants lorsque l’on négocie avec des régimes génocides, et ce à partir au moins du Troisième Reich jusqu’à aujourd’hui.
Je comprends que Affaires étrangères Canada insiste qu’ils ont désormais abandonné leur politique « d’approche constructive » mise en application avec le gouvernement de Khartoum pendant nombre d’années et qu’ils l’ont remplacé par une politique de « facteurs incitatifs et dissuasifs ». La principale différence entre ces deux politiques est difficile à déceler, bien que le manque actuel d’aide au commerce offerte au Soudan soit, de toute évidence, cité par certains de nos diplomates comme un facteur dissuasif. Ce sont, bien entendu, des politiques essentiellement identiques. Mel Middleton, un de mes concitoyens albertains, a récemment soulevé que le fait que le Canada et les autres pays n’aient pas appliqué la même politique contre Slobodan Milosevic au Kosovo en 1999 était une bonne chose.
Bien que ce ne soit pas la tribune pour étudier les rôles des sociétés pétrolières canadiennes dans la récupération du pétrole au Soudan méridional, qui a fourni au gouvernement de Khartoum les fonds nécessaires afin d’acheter des hélicoptères et d’autres armes lui permettant de procéder à un nettoyage ethnique et à d’autres atrocités dans les régions du sud et au Darfour, je dois, cependant, m’élever contre la tentative du gouvernement Martin d’obtenir l’aide de l’administration Bush afin que les tribunaux américains rejettent les accusations de torture déposées par l’Église presbytérienne du Soudan et autres contre Talisman et le gouvernement du Soudan.
Il est vrai que Paul Martin a annoncé un octroi de 206 M$ pour le processus de paix, la consolidation de la paix, l’aide humanitaire et l’aide à la mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS) ainsi qu’à la création d’une équipe consultative spéciale. Toutefois, de nos jours, il n’est tout simplement pas suffisant d’appuyer le processus de paix et d’encourager le dialogue. Ils n’arrêteront pas les tueries, les viols en bandes et la famine.
En mai dernier, M. Martin a également promis que les Forces canadiennes (FC) enverront jusqu’à 100 membres des forces armées pour appuyer l’UA et l’ONU. Je comprends à présent qu’il n’y en a que deux au Darfour, une région de la même superficie que la France, et deux autres au Khartoum pour l’ONU et l’UA. En comparaison, depuis octobre 2001, le Canada a déployé plus de 13 500 soldats, marins et membres des forces de l’air dans la guerre contre le terrorisme.
Bien que selon les dernières nouvelles les États-Unis aient conseillé vivement au nouveau gouvernement d’unité nationale du Soudan d’en faire davantage afin d’instaurer un climat de paix au Darfour, Robert Zoellick, le secrétaire d’État adjoint des États-Unis, a annoncé une visite au Soudan la semaine prochaine. Cette prise de position est survenue au moment où les législateurs américains ont coupé de 50 M$ le financement octroyé aux forces de maintien de la paix de l’UA. Les groupes d’aide ont affirmé être très préoccupés par les coupures dans le financement octroyé aux forces de maintien de la paix de l’UA qui, dès le départ, éprouvaient des difficultés en raison d’un manque de financement.
Nous devons tous continuellement garder en tête que la situation au Darfour ne s’améliore pas. En fait, elle s’aggrave. Cette situation ne se résorbera pas d’elle-même si nous l’ignorons suffisamment longtemps. Nous devons continuellement garder en mémoire les horreurs qu’endurent quotidiennement les déplacés du Darfour.
Retard
Nombre d’entre vous disent peut-être : « Puisque le mécanisme de maintien de la paix de l’UA dans les régions ne fonctionne pas, pourquoi ne pas demander un mandat visé par le chapitre VII du Conseil de sécurité des Nations Unies? » Malheureusement, ce mandat est impossible à obtenir parce qu’un minimum de deux membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine et la Russie, opposeraient, selon toutes attentes, leur veto à une telle proposition. Le Soudan répond à environ soixante-dix pour cent des besoins de la Chine en pétrole et la Russie est impliquée dans la vente de diverses armes au Khartoum et bloquera, à ce que je devine, la voie à une telle initiative.
Si l’ONU n’a ni la volonté ni les ressources pour offrir plus que de l’aide humanitaire, qu’advient-il de la responsabilité de protéger? Bien qu’un grand nombre de personnes n’aient que de bons mots à l’égard de la responsabilité de protéger, ce que plusieurs Canadiens ne savent pas est que notre doctrine « responsabilité de protéger » est essentiellement inutile sans une résolution du Conseil de sécurité donnant l’autorisation d’agir. Qu’advient-il des 2,5 millions de déplacés du Darfour?
Mais qu’est-ce qui empêche le conseil de l’OTAN de donner l’autorisation à son comité militaire d’envoyer une force de maintien de la paix comme ce fut le cas en Bosnie et au Kosovo? Pour autant que je sache, certaines capitales des pays membres de l’OTAN n’ont pas la volonté politique nécessaire pour donner cette autorisation. En France, le gouvernement Chirac a pris position en disant que l’OTAN n’est pas « le gendarme du monde » et en affichant sa préférence pour que l’Union européenne travaille de concert avec l’UA. Malheureusement, ce partenariat n’est pas fructueux.
Certaines personnes importantes proposent d’agir différemment et questionnent la stratégie actuelle. Une de ces personnes est Wesley Clark, l’ancien Commandant suprême des Forces alliées de l’OTAN, qui a affirmé à La Voix de l’Amérique que les États-Unis devraient déployer environ 500 000 troupes au Darfour; troupes qui s’ajouteront aux forces de l’OTAN et de l’Union africaine (UA). Les forces américaines et de l’OTAN seraient progressivement remplacées par une présence plus importante de l’UA dans la région jusqu’à ce qu’un climat de paix politique puisse s’installer.
Pour l’essentiel, je dois être en accord avec Clark parce que la Chine et la Russie semblent avoir paralysé le Conseil de sécurité de l’ONU. Bien entendu, un mandat visé par le chapitre VII du Conseil de sécurité serait idéal – et travaillons afin d’en obtenir un – mais il semble improbable d’y parvenir en ce moment. Le partenariat entre l’Union européenne et l’UA ne peut à lui seul freiner le gouvernement du Soudan, ce qui a entraîné des tueries, des viols en bandes et de la famine.
Pure coïncidence, j’ai reçu dernièrement la visite d’une délégation de la Bosnie. Ils m’ont rappelé, la voix empreinte de tristesse, qu’environ 150 000 Bosniaques sont décédés au milieu des années 1990 avant que la communauté internationale, avec le président Clinton et l’OTAN à sa tête, n’intervienne finalement afin de mettre fin aux tueries et aux viols qui duraient depuis plus de trois longues années. Quelques années plus tard, lorsqu’une catastrophe similaire s’est produite au Kosovo, une communauté internationale plus intelligente a agi très rapidement afin de s’assurer que le nombre total de victimes était beaucoup moins élevé, bien que considérable. 5000 personnes ont perdu la vie.
La question contrariante pour chacun de nous ici aujourd’hui est pourquoi les leçons de la Bosnie et du Kosovo ont-elles disparu dans la brume? Comment 30 gouvernements nationaux, y compris le gouvernement du Canada, peuvent, conjointement, envoyer 60 00 troupes de maintien de la paix au Kosovo et aucune au Darfour? Le Canada a envoyé environ 1400 soldats en Bosnie. Comme la préoccupation publique dans ce pays et dans le reste du monde continue, il est consternant de voir un si grand nombre de dirigeants rester en retrait, se tordant les mains et détournant le regard, alors qu’un autre Rwanda ou Bosnie prend forme devant leurs yeux.
Responsabilité de protéger
Qu’en est-il de la sixième phase de pourparlers de paix parrainés par l’UA à Abuja? Le nouveau gouvernement de Khartoum composé majoritairement par le FNI, ne sait que trop bien que tant qu’il fait semblant d’être de bonne foi au sujet de l’APG (Accord de paix global), il continuera à agir comme bon lui semble au Darfour. Un livre tout récemment publié par Gérard Prunier de l’Université de Paris, Darfour, le génocide ambigu, donne tous les détails à ce sujet (vous trouverez un compte rendu de cet excellent livre sur mon site Web – www.david-kilgour.com). De nombreux gouvernements, y compris dans l’UE, au Canada et aux É.U., continuent pour la plupart d’ignorer la question du Darfour, en espérant que le régime ne sèmera pas la destruction dans le Sud comme il continue à le faire dans l’Ouest. Quelle est notre responsabilité dans la protection des déplacés du Darfour aujourd’hui et au cours des dernières années?
Les Canadiens saluent avec enthousiasme les contributions humanitaires faites jusqu’à aujourd’hui par l’Union européenne et ses pays membres face à la situation au Darfour, particulièrement celles du Royaume-Uni (100 millions de dollars américains), de ECHO (Commission européenne) (environ 75 millions de dollars), des Pays-Bas (environ 50 millions de dollars), de la Commission européenne (environ 40 millions de dollars) et de l’Allemagne (environ 20 millions de dollars). Selon les Nations unies, le Canada a engagé jusqu’à maintenant environ 20 millions de dollars à des fins humanitaires. Toutefois, la violence ciblée qui s’intensifie contre les travailleurs de l’aide humanitaire rend encore plus fragiles les infrastructures vitales.
Pour nous tous, il est urgent d’accepter enfin l’idée que le Darfour est plus qu’une autre crise humanitaire. La destruction permanente d’origine étatique qui y sévit, peu importe comment on l’appelle, est tellement effroyable qu’elle fait entendre ses cris au monde entier comme une sommation à agir immédiatement.
Comme vous le savez, l’été dernier, l’International Crisis Group (ICG) déclarait déjà que l’OTAN doit fournir de l’aide de transition supplémentaire à l’Union africaine. Dans leur plus récent rapport (25 octobre), il répétait que ce serait le « moyen le plus pratique d’atteindre ce déploiement, mais malheureusement, ni l’OTAN, ni l’UA ne semblent être préparées à prendre en considération une mesure si radicale. Il existe une autre option faisant actuellement l’objet de nombreuses discussions, l’Intégration de (la mission de l’UA au Soudan-MUAS) à la mission des Nations unies dans les opérations au Soudan (MNUAS)… » Le rapport continue en formulant des recommandations sur la manière dont l’UA et l’UE peuvent travailler plus efficacement dans les limites des dispositions organisationnelles.
Mais comme M. Reeves l’a judicieusement noté, « l’incapacité totale de l’UA à obtenir un « mandat solide » de la part de Khartoum est la caractéristique la plus conséquente de ce qui reste un « contrôle » plutôt qu’une mission de protection; et l’incapacité manifeste que ce soit pour « apporter » ou pour « imposer » la paix au Darfour est une réalité que même aujourd’hui, l’UA semble paradoxalement refuser de reconnaître – une réticence empreinte de fierté déplacée qui abandonne la population du Darfour à des conséquences désastreuses. »
Avec la récente escalade de violence du gouvernement du Soudan et des Janjaweed et avec ce qu’on laisse entendre, quoique de manière allusive, comme quoi l’UA aimerait voir l’OTAN jouer un plus grand rôle au Darfour, n’est-ce pas le moment pour que l’ensemble des Canadiens fasse pression sur Ottawa pour agir? J’espère vraiment que notre gouvernement ne croit pas, comme Robert Zoellick, le sous-secrétaire d’État américain, que les atrocités au Darfour font partie d’une « guerre tribale, et franchement […] les forces étrangères [ne] veulent pas se trouver au milieu d’une guerre tribale entre Soudanais. »
Passer à l’action
L’OTAN doit s’impliquer de manière plus solidaire en s’orientant vers les résultats. Le fait d’insister qu’une telle initiative nécessiterait l’approbation de l’UA et du gouvernement soudanais passe bien entendu à côté de l’essentiel.
Croire que le gouvernement soudanais puisse un jour tolérer l’implication de l’OTAN de quelque façon que ce soit si ce n’est en transportant les troupes de l’UA est tout simplement naïf. En effet, on m’a dit que pratiquement tous les transports de troupes « Grizzly » du Canada qui ont été envoyés, sont restés au Sénégal parce que le gouvernement de Khartoum ne les laisse pas entrer au Soudan. Les survivants dans les camps du Darfour ne peuvent attendre. Quelles que soient les nuances politiques régionales ou internationales, ou la mécanique organisationnelle, ou toute autre excuse non convaincante, personne ne peut nier que nous avons tous une responsabilité de protéger. La responsabilité en matière de protection n’est-elle pas censée être la doctrine du Canada? Si chaque gouvernement concerné, comme celui du Canada, ne fait rien, alors nous serons tout simplement des partenaires silencieux du génocide.
Il y a une profonde disproportion dans notre volonté d’agir durant les crises humanitaires et lors de génocides comme celui du Darfour. Incontestablement, les survivants du tsunami en Asie du Sud-est et les survivants du récent tremblement de terre au Pakistan, qui travaillent fort pour rebâtir leur pays, ont besoin et méritent de recevoir de l’aide. Cependant, nous devons nous demander pourquoi c’est ainsi lorsque nous nous trouvons face à un génocide et face à une crise humanitaire avec des proportions épiques en Afrique. Il ne semble pas y avoir de réponse éloquente. À ma connaissance, le gouvernement canadien n’a même jamais critiqué officiellement le régime de Khartoum!
Je pense que la réponse réside clairement dans un manque de volonté politique en lien avec plusieurs éléments. Parmi eux, notre ignorance des complexités et de la nature sophistiquée des dictatures africaines, notre crainte d’envoyer des troupes dans des conflits ethniques en Afrique et, comme l’a souligné plusieurs fois Roméo Dallaire, le racisme flagrant de l’Occident et du Canada.
Il y a également le fait qu’on s’en remet aux Nations unies pour « régler » toutes les crises importantes dans les pays en voie de développement. Au début de cette année, le sous-secrétaire des Nations unies, Jan Egeland a déclaré dans un rapport, « La leçon de base des crises antérieures comme celles de la Bosnie, du Kosovo et du Rwanda, c’est que le monde nous envoie trop souvent des aides d’urgence, […] et ainsi, ils n’ont pas à prendre de mesures politiques et sécuritaires. Cela est incorrect et c’est pour cette raison que nous sommes vraiment fatigués de jouer ce genre de rôle de substitut à des mesures politiques et sécuritaires. »
En effet, l’accent qui a été mis à l’échelle internationale sur l’Accord de paix global (APG) pour amener la paix, la reconnaissance du conflit au Soudan comme un simple « problème humanitaire » et le fait qu’Ottawa continue à s’en remettre aux engagements constructifs, étouffe le devoir communautaire international de participer à une intervention humanitaire de l’OTAN (espérons avec la participation de l’UA et dirigée par un chef de l’UA). Lorsque nous avons ratifié la Convention sur le génocide en 1948, nous engageant ainsi à prévenir le génocide, il était clair qu’à ce moment-là, une intervention active serait requise pour arrêter les atrocités.
Cependant, les chefs d’État continuent à s’abriter sous le parapluie de l’APG pour justifier leur inaction. Nous aurions tort de nous permettre de rester inactifs parce que nous craignons que L’APG ne tombe à l’eau à cause des mesures énergiques. La réalité est précisément à l’opposé : sans une solution à la crise actuelle, l’APG ne fonctionnera jamais. Comme l’a écrit Susan Rice dans un article publié l’été dernier dans le Washington Post, le génocide n’est pas simplement un problème régional ou national. « Le génocide est un appel au monde entier et cela devrait être un appel à l’action. »
Compte tenu des renseignements existants sur la crise qui s’aggrave au Darfour, c’est plutôt une question d’étapes nécessaires pour mettre un terme à ces atrocités. Au fur et à mesure que la prise de conscience et l’intérêt pour ce problème augmentent, nous voyons un grand nombre d’organisations pousser comme des champignons dans la société civile, de STAND, Students Taking Action Now (Étudiants qui passent à l’action maintenant : Darfour), en passant par CASTS, Canadians Against Slavery and Torture in Sudan (les Canadiens contre l’esclavage et la torture au Soudan). Cette augmentation se reflète dans le fait par exemple que la liste d’environ 135 à 140 organisations membres de la Save Darfur Coalition (www.savedarfur.org) représente plus de 130 millions d’Américains.
Je voudrais voir un niveau d’intérêt similaire pour cette question et une augmentation parallèle dans la mise sur pied d’une coalition des gouvernements de ce monde. Il doit y avoir une stratégie claire pour venir en aide aux millions de personnes qui souffrent au Soudan. Nous avons besoin d’admettre la vérité sur la situation et de discuter de réelles possibilités d’aide, même si nous devons prendre des risques. L’impunité ne peut pas continuer aux dépens de la vie humaine, juste au cas où l’Accord de paix global fonctionnerait par miracle.
Conclusion
Laissez-moi vous raconter une anecdote que j’ai entendue la semaine dernière dans le cadre d’une conférence internationale sur le Darfour à l’University of Western Ontario. Le narrateur n’était même pas certain que c’était vrai. Je vous laisse décider.
Lorsque la catastrophe a frappé le Rwanda en avril et mai 1994, Ted Turner, qui dirigeait CNN à ce moment-là, a été finalement convaincu par Jane Fonda, qui était sa femme à l’époque, de faire quelque chose. Il avait ordonné à chaque reporter de CNN de la capitale, de harceler tous les politiciens et les responsables officiels de l’administration Clinton sur la question du Rwanda. Au bout de quelques semaines de ce Blitz Krieg journalistique, le gouvernement américain a enfin décidé d’envoyer des troupes. Malheureusement, ils sont arrivés trop tard à Kigali pour sauver des vies.
Je vous laisse avec cette question : est-ce que l’histoire va se répéter au Darfour? Si c’est oui, combien d’habitants du Darfour mourront? La solution de Zoellick au génocide du Darfour est stupéfiante : « Je ne pense pas que nous pouvons l’enrayer [la crise au Darfour] parce que ce n’est pas juste une question d’en finir avec la violence, c’est une question de créer un climat de paix. » La réponse donnée à cette déclaration par Éric Reeves est claire : « En finir avec la violence et créer un climat de paix » sont en effet les tâches fondamentales. Mais accepter la logique perverse et invalidante de Zoellick en parlant de leur besoin nécessaire et mutuel conforte la poursuite du statu quo génocide et démontre terriblement de façon claire que la seule leçon du Rwanda est qu’il n’y a aucune leçon à retenir. La détermination transparente pour éviter l’intervention humanitaire et la volonté correspondante de permettre à l’UA d’échouer au Darfour, ressuscitent les fantômes les plus obscènes de 1994. Nous n’avons rien appris. » Merci -30- |
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