De passage à Paris, ils dénoncent le climat de terreur qui sévit dans les hôpitaux où ont été transportés, ces dernières semaines, les blessés des manifestations anti-Ahmadinejad.
Ils en ont trop vu. Par peur de représailles, ils ont gardé le silence. Mais de passage en France pour quelques jours, ils veulent briser le mur de la peur. À tout prix. «À Téhéran, nous sommes les témoins impuissants de véritables crimes contre l'humanité», s'insurge un des deux médecins iraniens, rencontrés ce week-end à Paris, et qui préfère garder l'anonymat pour des raisons de sécurité. «Depuis le début des manifestations anti-Ahmadinejad, dit-il, des miliciens et des agents de la sécurité en civil ont instauré une politique de la terreur dans les hôpitaux. Ils y mènent une traque sans merci contre les blessés.»«Tout a débuté le samedi 13 juin - le premier jour de la contestation contre les résultats de l'élection. Ils ont commencé à demander la liste des admis à la réception des hôpitaux qui étaient situés à proximité des manifestations», raconte le médecin. Objectif à peine voilé : «identifier les protestataires blessés, pour pouvoir ensuite les poursuivre en justice, en les accusant d'avoir perturbé l'ordre public», précise-t-il.
Plus de 92 morts Selon plusieurs témoignages qui circulent dans les milieux médicaux, l'hôpital Akram Rasoul, non loin de l'université de Téhéran, aurait reçu, dès le «lundi noir» (15 juin), 38 corps, parmi lesquels 28 blessés et 10 déjà morts. «On a pu constater que les balles avaient traversé les torses à la diagonale, ce qui signifie qu'elles ont été tirées d'en haut - c'est-à-dire d'un toit», remarque le second médecin.
D'après un bilan officiel, au moins 17 personnes ont été tuées depuis le début de la contestation. Cependant, un premier décompte discrètement réalisé par le personnel soignant de différents hôpitaux révèle qu'à ce jour, plus de 92 personnes seraient mortes à Téhéran et dans ses environs. Une femme enceinte de huit mois fait partie des victimes. Tuée par balle, non loin du palais présidentiel, elle aurait ensuite été transportée à l'hôpital. D'autres récits troublants commencent à surgir au grand jour. Comme celui de ces six cadavres de jeunes hommes retrouvés la semaine passée à Shahriar, à la périphérie de la capitale. «Ils sont tous morts par plaie dans la nuque. Leur crâne avait été fracassé et leur cerveau avait été ouvert, sans doute pour récupérer la balle afin d'effacer la trace du crime», raconte le second médecin, informé de ce terrible massacre par un collègue de confiance.
Pour couvrir ce genre d'attaque, il a été demandé aux médecins d'attester que les personnes dont les corps ont été rapportés dans leurs hôpitaux «sont décédées par suite opératoire». «Dans plusieurs hôpitaux - dont Akram Rasoul et Imam Khomeiny -, nous avons organisé des sit-in de protestation. Mais à la télévision d'État, ils ont dit qu'il s'agissait d'une grève pour de meilleurs salaires. C'est terriblement choquant !», relève le second docteur. Un de ses amis, médecin de garde aux urgences de l'hôpital Erfan, a même été «puni» pour avoir tenu tête aux miliciens. «Après avoir disparu pendant trente-six heures, il a été retrouvé à moitié conscient et défiguré sur le trottoir de l'hôpital», raconte-t-il.
Des enterrements sous haute surveillance Face à la résistance d'une partie du corps médical, les cadavres des manifestants ont vite été emmenés ailleurs. «On pense qu'ils ont été transférés à l'hôpital militaire Baqiatollah, ou bien dans un lieu inconnu du grand public», note le docteur. Puis, sous prétexte de «don d'organe», les corps sont dépouillés de toute trace de balle. «Les parents sont forcés d'accepter s'ils veulent récupérer le corps pour l'enterrer», dit-il.
Au grand cimetière Behecht-é Zahra, les enterrements se passent sous haute surveillance. «Sur la pierre tombale, il est interdit d'indiquer le motif du décès», confie un témoin contacté à Téhéran par téléphone.